Chasteté
Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi
La chasteté est attente, gradation et durée. Elle refuse le caractère fusionnel du «tout, tout de suite»
Il n'est pas facile de parler de la chasteté. Il s'agit d'une parole, d'une réalité, souvent comprise de façon réductrice ou même méconnue et tournée en dérision, ou alors confondue avec la virginité ou identifiée à l'abstinence sexuelle... C'est la raison pour laquelle il convient de redécouvrir la valeur anthropologique de la chasteté et donc aussi sa valeur spirituelle chrétienne. L'étymologie nous suggère que le chaste (castus) est celui qui refuse l'inceste (in-castus). Le non-chaste, à sa racine, est l'incestueux. Le chaste vit ses relations en acceptant la distance et en respectant l'altérité (qui ne se réduit pas à la différence). Le non-chaste ne cherche pas la relation, mais la fusion et la con-fusion qui définissent normalement l'inceste. Ce sens fondamental situe la chasteté sur le tracé du chemin qui permet d'apprendre l'art d'aimer et de vivre la sexualité de manière mûre et adulte. Il ne s'agit donc pas d'une vertu négative, marquée par des prohibitions et des interdits, mais elle est éminemment positive, elle «est ce qui donne aux relations humaines leur clarté et leur chaleur, et permet aux personnes de se reconnaître dans le respect de leur être le plus intime» (Claude Flipo). Johannes Gründel écrit: «La chasteté est la disponibilité intérieure de l'homme à affirmer pleinement sa sexualité, à reconnaître les impulsions sexuelles dans leur caractère entièrement personnel et social, et à les insérer d'une manière riche de sens dans la globalité de la vie humaine.»
La chasteté est «l'amour ordonné (amor ordinatus) qui ne relègue pas les grandes choses derrière les petites» (Augustin). Impliquant la prise en charge radicale de la corporéité, elle n'exige pas de renier le corps ou la sexualité, mais de les intégrer dans la vie personnelle; elle demande à l'homme d'assumer le mandat d'être son propre corps, elle requiert de lui qu'il vive la sexualité à l'enseigne du symbole et non de l'image. En particulier, elle rappelle à l'homme la nécessaire intégration de la temporalité dans l'amour: la chasteté est attente, gradation et durée. Elle refuse le caractère fusionnel du «tout, tout de suite», la logique de l'immédiat et de la consommation. Et ainsi, elle prend aussi la forme d'une lutte contre l'absolutisation et la dépersonnalisation des pulsions sexuelles, contre la recherche de la satisfaction à tout prix, contre la dissipation, la chosification de la sexualité. La chasteté nous rappelle que l'amour est aussi ascèse, fatigue, travail, et qu'il exige une purification pour devenir intelligent et respectueux de l'autre et de son mystère, pour viser vraiment le bien de l'autre. Rilke écrit: «Il n'y a rien de plus ardu que de s'aimer. C'est un vrai travail, à reprendre sans cesse. Les jeunes, d'ailleurs, ne sont absolument pas préparés à cette difficulté de l'amour; de cette relation extrême et complexe, les conventions ont tenté de faire un rapport facile et léger, elle lui ont conféré l'apparence d'une chose à la portée de tous. Et il n'en est pas ainsi. L'amour est une chose difficile!»
La chasteté concerne donc chaque homme; et, dans le milieu chrétien, elle n'est pas réservée à ce qu'il est convenu d'appeler les «célibataire consacrés», mais elle est une dimension qui doit être assumée et vécue par chaque baptisé, quel que soit l'état de vie dans lequel il se trouve. Bien sûr, la compréhension chrétienne de la chasteté la voit fondée sur la foi en Christ, liée étroitement à l'adhésion personnelle à lui, enracinée dans la décision de le suivre et expression de l'amour pour lui. La chasteté, autant dans le mariage que dans le célibat, est respect pour le mystère de son propre corps et de celui de l'autre: elle perçoit le corps comme étant personnel et expressif, avant de le saisir comme un objet de désir. Ainsi, elle confesse que le corps humain est un temple de l'Esprit et une demeure de Dieu (cf. 1 Corinthiens 6,19), un lieu de glorification de Dieu (1 Corinthiens 6,20). Pour ce qui est du célibat chaste en raison du Royaume, il n'est vivable que grâce à un grand amour pour le Seigneur et à la foi en la résurrection, mais aussi grâce à une maturité humaine marquée par la capacité d'aimer et par l'adhésion à la réalité. En particulier, comme l'affirme Freud lui-même, l'équilibre humain est essentiellement défini par la capacité concrète d'aimer et celle de travailler avec efficacité. Ces deux éléments caractérisent alors la maturité humaine qui est essentielle à une pleine croissance spirituelle, dans la vie célibataire aussi.
Certes, la chasteté se joue dans les profondeurs du cœur et elle est donc un chemin, une tension incessante, une lutte; elle ne se présente jamais comme un état qu'on aurait atteint une fois pour toutes. Césaire d'Arles s'exprime ainsi à propos de la chasteté: «Parmi toutes les luttes que les chrétiens doivent combattre, les plus dures sont celles pour la chasteté: là, en effet, le combat est quotidien et la victoire est rare.» La victoire n'est qu'un don, un événement de la grâce, quand — grâce à la foi — les énergies de la résurrection s'imposent sur les pulsions égocentriques de l'homme. Et c'est dans l'eucharistie que le chrétien trouve un soutien et un enseignement pour cette lutte. L'eucharistie lui rappelle que «le corps n'est pas pour la fornication; il est pour le Seigneur et le Seigneur pour le corps» (1 Corinthiens 6,13). Là, dans la confrontation avec le corps du Seigneur donné par amour, le croyant apprend à vivre le rapport avec son propre corps et celui d'autrui. Et il se trouve confirmé dans la vocation à la communion, à l'amour, à la fraternité, à faire de soi un signe de l'amour de Dieu pour les hommes. La chasteté, en effet, tout en générant un cœur pur, qui sait voir la réalité et les autres en Dieu, fait de l'homme une transparence de l'amour et de la puissance de Dieu. Cette puissance par laquelle «Dieu a ressuscité le Seigneur, et nous ressuscitera nous aussi» (1 Corinthiens 6,14).
Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.