Lectio divina
Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi
Si l'Esprit est le maître de la vie chrétienne, l’Écriture peut être entendue comme l'élément qui transmet cet enseignement
«La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s'est manifestée, nous enseignant (...) à vivre» (Tite 2,11-12). Ce passage néo-testamentaire parle du Christ comme de la grâce personnifiée qui enseigne à l'homme à vivre. Si l'Esprit est le grand maître de la vie chrétienne, l’Écriture, qui est sacrement de la volonté et de la Parole de Dieu, peut être entendue comme l'élément qui transmet cet enseignement. Certes, il s'agit de l’Écriture interprétée dans l'Esprit Saint, de l’Écriture priée.
La lectio divina est l'art — redevable à la tradition juive de lecture de la Bible et héritier de la grande tradition herméneutique patristique — qui cherche à réaliser la transposition du texte biblique dans la vie et qui se présente ainsi comme un instrument précieux pour aider à franchir le fossé souvent sensible dans nos Églises entre foi et vie, entre spiritualité et quotidienneté. Elle apparaît comme une herméneutique existentielle de l’Écriture, qui, en conduisant l'homme à porter son regard avant tout sur le Christ, à le chercher à travers la page biblique, le guide ensuite à mettre en dialogue sa propre existence avec le visage de Christ révélé, pour arriver à voir son propre quotidien illuminé d'une lumière nouvelle.
Les quatre degrés de la lectio divina — lectio, meditatio, oratio, contemplatio — représentent un approfondissement progressif du texte biblique, où l'acte de lecture est appelé à devenir rencontre avec le Seigneur vivant, dialogue avec lui, exposition de la vie à la lumière du Christ qui ordonne l'existence du croyant.
Le processus que réalise la lectio divina est l'itinéraire très humain qui, de l'écoute, conduit à la connaissance et de là à l'amour. Il s'agit, dans la lectio, de faire l'effort de sortir de soi pour franchir l'altérité et la distance chronologique et culturelle du texte, de l'«autre» dans la relation; puis, dans la meditatio, d'approfondir la connaissance, de chercher le message central du texte, de faire émerger le visage du Christ de la page biblique; dans l'oratio, ensuite, d'appliquer le message qui a émergé à sa propre vie et sa propre vie au message biblique: l'oratio se présentera ainsi comme une réponse à la Parole en forme de prière, mais aussi comme la prise en charge d'une responsabilité à l'égard de la Parole écoutée.
Le niveau de la prière est le niveau même de la vie: éthique et foi n'apparaissent pas disjointes, mais reliées de façon intrinsèque. L'intentionnalité dialogique de la Bible se réalise ainsi par le biais de la lectio divina et atteint la dimension dialogique constitutive de l'être humain lui-même: l'efficacité de la Parole de Dieu contenue dans la Bible se manifeste sur le plan de l'être, bien davantage et bien plus tôt que sur celui du faire.
C'est cela que signifie la contemplatio, qui ne renvoie pas à des expériences mystiques ou extatiques, mais indique un niveau de communication intraduisible en paroles: silence, larmes, présence de l'aimé à l'amant, discernement de la présence ineffable du Seigneur... Mais elle indique aussi ce que réalise en nous l'action de l'Esprit Saint qui habite la Parole: il crée en nous la longanimité, la patience, l'unification intérieure, le discernement, la capacité eucharistique, la compassion pour toutes les créatures, en un mot: la dilatation de la charité. La lectio divina réalise la transposition de la Parole dans la vie avant tout de cette manière: en faisant de l'homme un être capable d'écoute, donc de foi.
La lecture qu'exige la lectio divina n'est pas tant intellectuelle que sapientielle, et répond au principe exposé par François de Sienne: «Non l'érudition mais l'onction, non la science mais la conscience, non la charte mais la charité.» C'est une lecture qui exige une capacité d'intériorisation, pour que la Parole se dépose et s'enracine dans le cœur humain; elle exige persévérance, c'est-à-dire renouvellement quotidien de l'attitude d'écoute, capacité de durer, de demeurer dans le temps, parce que la foi n'est pas l'expérience d'un moment ou d'une période de la vie, mais embrasse l'entier de l'existence; elle exige la lutte spirituelle, c'est-à-dire la capacité de rester attaché à la Parole écoutée et de la conserver comme un bien précieux, sans la trahir en lui préférant ces bien illusoires mais séduisants que sont les idoles.
La lecture de la Bible, à travers la lectio divina, situe donc la vie du croyant dans la tension la plus évangéliquement féconde, celle de la conversion. Elle pousse le lecteur-auditeur à lire et à penser sa vie devant la volonté de Dieu révélée dans les Écritures, pour arriver à vivre en conformité à la volonté divine même. La lecture de la Bible selon la lectio divina se reflète dans la vie non pas tant dans le sens qu'elle conduit à accomplir certaines œuvres plutôt que d'autres, mais bien davantage dans le sens qu'elle allume et tient allumée la lumière grâce à laquelle tout l'agir du croyant devient témoignage et évangélisation pour les hommes: «Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux» (Matthieu 5,16).
L’Écriture exige d'être vécue pour être vraiment comprise, et elle exige d'être vécue dans un espace communautaire, avec d'autres et près d'eux: «Bien des choses des saintes Écritures, que je n'ai pas pu comprendre seul, m'ont livré leur sens en présence de mes frères. (...) Et je me suis rendu compte que cette intelligence m'était donnée par leurs mérites» (Grégoire le Grand). C'est donc de cette manière que se produit le passage de l’Écriture à la vie, du texte au témoignage: l’Écriture inspirée est aussi inspirante, et elle veut allumer dans le cœur du croyant le feu de l'Esprit (cf. Luc 24,32), pour que ce dernier déploie en lui sa puissance.
La lecture de l’Écriture tend à devenir témoignage de la Présence, martyría, et trouve son accomplissement le plus élevé dans le martyre, dans le don de sa vie par amour. Rabbi Akiba a vécu son martyre comme l'accomplissement de l'exigence du Shema': «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ta vie» (Deutéronome 6,5). Alors que son corps se faisait décharner par les tortionnaires, rabbi Akiba récitait le Shema'; et à ses disciples qui voulaient l'interrompre, il répondit: «Toute ma vie, j'étais tracassé par ce verset: "Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de toute ton âme", c'est-à-dire même s'il te prend ton âme. Je me demandais quand j'aurais la possibilité de remplir cette obligation. Maintenant que l'occasion se présente, je ne la saisirais pas?» (Talmud babylonien, Berakhot 61b). La Parole qui a illuminé la vie parvient à vivifier aussi la mort. Et cela nous aide à répondre à l'objection, diffuse aujourd'hui dans les milieux catholiques, que l'on peut exprimer ainsi: si la Parole de Dieu est efficace, et s'il y a parmi les croyants ce retour à la Parole de Dieu écoutée dans les Écritures, où se manifeste cette efficacité? Où peut-on repérer les signes de cette puissance? C'est une objection qui révèle combien il est difficile de tirer de l’Écriture, et non de nous-mêmes ou de milieux mondains, le critère de l'efficacité de la croix. La Parole, comme le Christ, est inséparable de la croix, et sa puissance et sa sagesse sont paradoxales, comme le sont la puissance et la sagesse de la croix. Paul ne parle pas par hasard de ho lógos ho toû stauroû, de «langage de la croix» (1 Corinthiens 1,18); cette efficacité est ordonnée à la foi et n'est compréhensible que dans l'espace de la foi. Et seule la foi peut nous guider pour comprendre la période actuelle de l’Église, où réapparaît le martyre en plusieurs endroits du monde, comme un fruit de l'efficacité de la Parole écoutée et servie jusqu'au don de la vie par amour. Par amour de Dieu et des hommes, même des ennemis et des persécuteurs.
Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2006