Prière de louange
Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi
Dans la prière, la louange est amour qui répond à l'amour: à l'amour de Dieu, reconnu dans les événements de l'existence, on répond en louant
La louange est l'Amen, le «oui» de l'homme à Dieu et à son action: un «oui» total et inconditionnel. C'est exactement cela, la louange de Jésus lui-même: «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir» (Matthieu 11,25-26). Et la louange du chrétien répète ce mouvement, en trouvant en Christ son catalyseur: «Toutes les promesses de Dieu ont leur "oui" en Jésus Christ; aussi bien est-ce par Christ que nous disons l'Amen à Dieu pour sa gloire» (2 Corinthiens 1,20). La liturgie, qui enseigne la prière au chrétien, caractérise le temps pascal au moyen de la répétition insistante de l’exclamation «Alléluia» («Louez le Seigneur»), et elle met ainsi en évidence que le grand don de Dieu est le Fils même, mort et ressuscité pour le salut des hommes. C'est l'action de salut du Dieu trinitaire, manifestée pleinement dans l'événement pascal, qui suscite la doxologie, la louange de l’Église.
Cet aspect de la louange comme l'«Amen» adressé à Dieu, comme la confession de son altérité et de sa présence, nous entraîne à comprendre que louer et croire sont fondamentalement synonymes: la louange exprime l'aspect célébratif de la foi. Ce n'est pas un hasard si, dans la Bible, elle surgit souvent après le discernement de foi d'une intervention de Dieu dans l'histoire. C'est le cas, par exemple, du cantique de Moïse, qui s'insère après la reconnaissance du fait que c'est Dieu, par son action, qui avait fait sortir d’Égypte les fils d'Israël (cf. Exode 15). Il convient alors de parler, davantage que de la supériorité de la louange par rapport à la supplication, de la louange comme de l'horizon englobant de la supplication même!
La supplication suppose la louange et tend à la louange: elle se fonde sur la louange, en ce qu'elle confesse et invoque le Nom de Dieu, et reconnaît de ne pouvoir compter sur personne d'autre que sur le Dieu même qui a abandonné le croyant («Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?», Psaume 22,2); elle tend à la louange, parce qu'elle espère revoir le visage connu et aimé du Seigneur. Voilà pourquoi les Psaumes de supplication débouchent souvent sur la louange (Psaumes 22; 31; 69 etc.); et voilà pourquoi le psalmiste, lorsqu'il se lamente sur son exil, sur son éloignement de Dieu, peut s'exclamer: «A nouveau, je lui rendrai grâce» (Psaumes 42,6.12; 43,45). Les doxologies néo-testamentaires de l'Apocalypse accentuent particulièrement cet aspect d'espérance, de louange future, lorsqu'elles parlent de la vie éternelle en la caractérisant par la louange des croyants: il s'agit évidemment de l'affirmation de la relation devenue présence sans ombre du croyant face à Dieu.
Mais si la louange synthétise, sous une forme priante, les dimensions de la foi, de la charité et de l'espérance, il apparaît clairement qu'elle est la vie même que le croyant est appelé à vivre: nous sommes destinés à être «la louange de la gloire de Dieu» (Ephésiens 1,14). La louange est appelée à devenir la vie même du croyant: lorsqu'on aime Dieu de tout son cœur et le prochain comme soi-même, on veut louer de tout son cœur, c'est-à-dire vivre et mourir en présence de Dieu. De façon significative, la tradition chrétienne nous présente le martyre comme l'exemple d'une louange vécue jusqu'à la fin, comme un «Amen» personnifié. La dimension de la louange, si dense et si fondamentale à l'intérieur de la prière, nous montre qu'elle se nourrit d'une gamme étendue de langages, personnels et communautaires. Ils vont du chant au murmure, de la jubilation à l'allégresse intérieure, des paroles au silence: «Pour toi, même le silence est louange, o Dieu» (Psaume 65,2). Alors, dans le silence, la louange devient présence cor ad cor de l'aimé à son Amant.
Tiré de Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.