Silence

Les icônes de Bose - détrempe à l'œuf sur table  - copie d'une fresque en style copte
Visage de femme

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi

Le silence est le langage de l'amour, de la profondeur, de la présence de l'autre: souvent, il est plus éloquent qu'une parole

La tradition spirituelle et ascétique a toujours reconnu la valeur essentielle du silence pour une authentique vie de prière. «La prière a le silence pour père et la solitude pour mère» a dit Jérôme Savonarole. Seul le silence, en effet, rend possible l'écoute, c'est-à-dire l'accueil en soi non seulement de la Parole, mais aussi de la présence de Celui qui parle. Le silence ouvre ainsi le chrétien à l'expérience de l'inhabitation de Dieu: car le Dieu que nous cherchons, en suivant dans la foi le Christ ressuscité, est le Dieu qui n'est pas extérieur à nous, mais qui habite en nous. Jésus dit dans le quatrième: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui» (Jean 14,23). Le silence est le langage de l'amour, de la profondeur, de la présence de l'autre. Du reste, dans l'expérience amoureuse, le silence est souvent un langage beaucoup plus éloquent, intense et communicatif qu'une parole. Malheureusement, aujourd'hui, le silence est rare; il est la chose qui manque le plus à l'homme moderne, assourdi par les bruits, bombardé de messages sonores et visuels, délesté de son intériorité, comme si on l'en avait chassé. Et c'est toujours «quand diminue le prestige du langage qu'augmente celui du silence» (Susan Sontag). La vie spirituelle, elle aussi, se ressent de cette carence: les liturgies sont souvent verbeuses, appesanties par des commentaires qui, en voulant tout expliquer, tout dire, oublient qu'en Dieu, il y a quelque chose d'indicible, un silence, un mystère que la liturgie doit refléter.

Du reste, la demande croissante de vie spirituelle authentique reste trop souvent ignorée par des Églises locales engagées bien plutôt dans de multiples activités d'assistance, sociales, caritatives, récréatives ou, au mieux, catéchétiques. Il n'est dès lors pas étonnant que soient nombreux ceux qui cherchent des voies de spiritualité en dehors du christianisme.
Nous devons le reconnaître: nous avons besoin du silence! Nous en avons besoin d'un point de vue purement anthropologique, parce que l'homme, qui est un être de relation, communique de façon équilibrée et significative seulement grâce au rapport harmonieux entre parole et silence. Mais nous en avons besoin aussi d'un point de vue spirituel. Pour le christianisme, le silence n'est pas seulement une dimension anthropologique, mais théologique: alors qu'il était seul sur le mont Horeb, le prophète Elie entendit d'abord un ouragan impétueux, puis un tremblement de terre, ensuite un feu, et enfin «la voix d'un silence ténu» (1 Rois 19,12): dès qu'Elie entendit ce dernier, il se couvrit le visage avec son manteau et se tint en présence de Dieu. Dieu se rend présent à Elie dans le silence, un silence éloquent. La révélation du Dieu biblique ne passe pas seulement à travers la parole, mais elle se produit aussi dans le silence. Ignace d'Antioche dira que Christ est «la Parole sortie du silence». Le Dieu qui se révèle dans le silence et dans la parole exige de l'homme l'écoute, et pour l'écoute, le silence est essentiel.

Certes, il ne s'agit pas simplement de s'abstenir de parler, mais d'observer le silence intérieur, cette dimension qui nous restitue à nous-mêmes, qui nous situe sur le plan de l'être, face à l'essentiel. «Il y a dans le silence une merveilleuse puissance de clarification, de purification, de concentration sur l'essentiel» (Dietrich Bonhoeffer). C'est du silence que peut naître une parole subtile, pénétrante, communicative, sensée, lumineuse, et même, oserai-je dire, thérapeutique, capable de consoler.
Le silence est le gardien de l'intériorité. Certes, même s'il s'agit d'un silence défini négativement, comme la sobriété et la discipline du langage, et jusqu'à l'abstention de toute parole, il passe de ce premier moment à une dimension intérieure: c'est-à-dire qu'il fait taire les pensées, les images, les rébellions, les médisances qui naissent dans le cœur. C'est en effet «du dedans, du cœur des hommes que sortent les desseins pervers» (Marc 7,21). C'est le difficile silence intérieur, celui qui se joue dans le cœur, lieu de la lutte spirituelle. Mais ce silence intérieur, précisément, engendre la charité, l'attention à l'autre, l'accueil de l'autre, l'empathie à l'égard de l'autre. Oui, le silence creuse dans nos profondeurs un espace pour y faire habiter l'Autre, pour y faire demeurer sa Parole, pour enraciner en nous l'amour pour le Seigneur; en même temps, et en lien avec cela, il nous dispose à l'écoute intelligente, à la parole mesurée, au discernement du cœur de l'autre, de ce qui brûle dans son intimité et qui est voilé dans le silence d'où naissent ses paroles.

Alors le silence, ce silence, suscite en nous la charité, l'amour de notre frère. Et de cette manière, le double commandement de l'amour de Dieu et du prochain est observé par celui qui sait garder le silence. Basile arrive à dire: «Le silencieux devient source de grâce pour qui écoute.» A ce stade, on peut répéter, sans crainte de tomber dans la rhétorique, l'affirmation d'Edmond Rostand: «Le silence est le chant le plus parfait, la prière la plus élevée.» Lorsqu'il conduit à l'écoute de Dieu et à l'amour du frère, à la charité authentique, c'est-à-dire à la vie en Christ (et non à un vide intérieur, vague et stérile), alors le silence est une prière authentiquement chrétienne et agréable à Dieu. C'est ce silence qui, après avoir parcouru une longue histoire spirituelle, parvient jusqu'à nous; c'est le silence qu'ont cherché et pratiqué les hésychastes pour obtenir l'unification du cœur; c'est le silence de la tradition monastique, qui vise à l'accueil en soi de la Parole de Dieu; c'est le silence de la prière d'adoration de la présence de Dieu; c'est le silence cher aux mystiques de toute tradition religieuse; et avant tout cela, c'est le silence dont est pétri le langage poétique; c'est le silence qui constitue la nature même de la musique; c'est le silence essentiel à tout acte de communication. Le silence, événement de profondeur et d'unification, rend le corps éloquent, en nous conduisant à habiter notre corps, à habiter notre vie intérieure, en nous guidant à cet habitare secum si précieux à la tradition monastique. Le corps habité par le silence devient révélation de la personne.

Le christianisme contemple Jésus Christ comme la Parole faite chair, mais aussi comme le Silence de Dieu: les Évangiles montrent un Jésus qui, à mesure qu'il avance dans la passion, se tait toujours davantage; il entre dans le silence comme un agneau aphone, comme celui qui, connaissant la vérité, sachant l'indicible fond de la réalité, ne peut ni ne veut trahir l'ineffable par la parole, mais le garde dans le silence. Jésus, qui «n'ouvre pas la bouche», révèle que le silence est ce qui est vraiment fort, fait de son silence un acte, une action. Et précisément pour cela, il pourra aussi faire de sa mort un acte, le geste d'un vivant. Afin qu'il soit vraiment clair qu'au-delà de la parole et du silence, ce qui est vraiment porteur de salut, c'est l'amour, qui vivifie l'une et l'autre. Et qu'est-ce que le Christ crucifié, sinon l'icône du silence, et du silence même de Dieu? Sur la croix, disent les Évangiles, de midi jusqu'à trois heures de l'après-midi, l'heure de la mort de Christ, règnent l'obscurité et le silence. Il y a un silence total de paroles sur Dieu et d'images de Dieu, de conceptualisations de Dieu et d'idées de Dieu: tout discours sur Dieu, toute représentation de Dieu doivent toujours se mesurer à ce silence, parce qu'ils connaissent toujours la tentation de réduire Dieu à une idole, à un produit manufacturé, à un objet manipulable. Mais c'est justement ce silence au moment de la croix qui parvient à dire l'indicible: l'image du Dieu invisible doit être cherchée dans cet homme pendu à la croix. Le silence de la croix est l'enseignement ultime auquel on ne pourra jamais cesser de puiser toute parole théologique.

Tiré de Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.